Rapport alternatif sur la mise en œuvre de la Convention d'Istanbul
SUISSE: CONVENTION D'ISTANBUL
Commentaire par Anne-Laurence GRAF, docteure en droit, collaboratrice scientifique au Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH)
Après la ratification le 14 décembre 2017 et l’entrée en vigueur le 1er avril 2018 de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, la Suisse est entrée dans une phase importante pour la vie de la Convention sur le sol helvétique : le premier cycle d’évaluation de sa mise en œuvre par le GREVIO (« Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique »). Composé d’expert-e-s indépendant-e-s des États parties à la Convention, cet organe chargé du « monitoring » de la Convention d’Istanbul joue un rôle primordial, malgré le caractère non contraignant – en soi – de ses recommandations. D’un point de vue général d’abord, chaque rapport d’évaluation d’un pays a des implications importantes en termes d’interprétation des obligations prévues par la Convention et de bonnes pratiques permettant de les mettre en œuvre. D’une perspective helvétique ensuite, cette évaluation offre l’occasion de cerner les problématiques particulières qui entourent la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul en Suisse. A cet égard, outre les réponses fournies par l’Etat à un questionnaire du GREVIO, le GREVIO se renseigne également auprès des différent-e-s acteurs et actrices concerné-e-s sur la bonne mise en œuvre de la Convention, notamment par des visites dans les pays et par des rapports qui peuvent lui être adressés par des organisations non gouvernementales. C’est dans ce contexte qu’a été publié en juin 2021 le rapport alternatif (« Alternativbericht » ou « Schattenbericht ») de la société civile.
Ce rapport alternatif contient de nombreuses revendications pour une mise en œuvre satisfaisante de la Convention d’Istanbul en Suisse, ainsi que des rapports approfondis rédigés par différentes organisations non gouvernementales permettant d’expliquer en détail les problèmes juridiques et pratiques soulevés en Suisse par la mise en œuvre des obligations dérivant de la Convention. De ce rapport, très dense, on relèvera ici deux aspects saillants qui concernent le champ d’application personnel et territorial de la Convention, aspects qui nous semblent particulièrement importants en ce qu’ils sont la clé de l’accès à de nombreux droits fondamentaux prévus par la Convention. Premièrement, la Convention adopte, malgré sa clause générale de non-discrimination, une approche binaire homme-femme (la Convention est applicable aux femmes, ainsi qu’aux hommes s’agissant de la violence domestique). Or, le rapport alternatif affirme que la Convention doit s’appliquer, s’agissant de toutes les violences liées au genre, aux personnes qui s’identifient partiellement ou totalement comme une femme, ou qui sont perçues ou socialisées comme une femme ou une fille, ce qui inclut les femmes cis, trans et intersexe, les homme trans et intersexe, et les personnes non-binaires. Cette précision emporte des conséquences s’agissant de la violence à l’égard « des femmes » puisqu’elle permet d’intégrer, dans la notion de « violence », des formes de violence dirigées contre une personne en raison de son identité de genre. Cet aspect, non précisé dans la Convention, pourrait mener en effet à une interprétation étroite du champ d’application personnel de la Convention. De fait, le rapport alternatif constate que peu de mesures sont prises en Suisse pour la protection des personnes trans contre la violence liée au genre. Deuxièmement, le rapport alternatif met en exergue à plusieurs endroits une lacune du droit suisse qui ne prévoit pas, au niveau fédéral, une assistance aux victimes de violences constitutives d’infractions pénales lorsque la violence a eu lieu à l’étranger. Il en ressort un problème d’accès aux services de soutien par les personnes du domaine de l’asile, lesquelles subissent souvent les violences dans leur pays d’origine ou pendant leur fuite. Le rapport alternatif demande, notamment, que des prestations d’aide pour les victimes ayant subi des actes de violence à l’étranger soient octroyées. Si ces prestations sont du ressort des cantons selon la répartition constitutionnelle, cela exigerait, à notre avis, une révision de la loi suisse sur l’aide aux victimes afin d’éviter, comme pointé par le rapport, des différences cantonales. Pour conclure, de manière générale, le rapport alternatif des ONG sur la mise en œuvre par la Suisse de la Convention d’Istanbul concerne à de nombreux égards la notion de « violence » dans la Convention en militant pour une approche large qui couvre de manière effective toutes les personnes vulnérables (les personnes trans, les enfants, les personnes en situation de handicap et les personnes migrantes).
Accès direct au rapport (istanbulkonvention.ch)
FRI - Gender Law Newsletter 2021#3 - V.1