Stealthing
SUISSE: DROIT PÉNAL
Tribunal fédéral, 11 mai 2022 (6B_34/2020, 6B_265/2020), prévue pour publication
Contribution invitée par Clara SCHNEUWLY, avocate au Collectif de défense (Genève)
Le 11 mai 2022, le Tribunal fédéral a rendu deux arrêts dans lesquels il s’est positionné sur la question du stealthing, soit lorsque qu’une personne retire furtivement le préservatif pendant l’acte sexuel, alors que le port de celui avait été expressément requis par son partenaire sexuel.
Le Tribunal fédéral examine le comportement reproché sous l’angle de l’infraction 191 CP, qui incrimine les actes d’ordre sexuel commis sur une personnes incapable de discernement ou de résistance.
Dans le cadre de son raisonnement, le Tribunal procède en deux étapes. Il confirme tout d’abord que le comportement reproché au prévenu affecte le droit à l’autodétermination en matière sexuelle protégée par l’article 191 CP. En effet, la question de la protection dans le cadre d’un rapport sexuel peut affecter de manière déterminante le consentement à l’acte sexuel. Notre Haute Cour souligne qu’un rapport protégé et un rapport non protégé sont deux actes d’ordre sexuel différents.
Le Tribunal fédéral aborde ensuite le second élément constitutif objectif de l’infraction pénale concernée, soit la question de savoir s’il peut être considéré que la victime de stealthing était dans l’incapacité de résister à l’acte d’ordre sexuel non protégé. A cet égard, notre Haute Cour rappelle la jurisprudence relative à la norme pénale concernée, notamment des décisions rendues dans les cas d’actes commis par des professionnels de la santé. Dans de telles situations, l’incapacité de résistance a été admise lorsque l’auteur avait accompli l’acte par surprise et que la position de la victime ne lui permettait pas de voir les gestes entrepris pas l’auteur. Par contre, lorsque la victime s’est retrouvée dans l’erreur de la nature des gestes sexuels de l’auteur, qu’elle a compris comme des actes thérapeutiques, le Tribunal fédéral n’a pas considéré que la victime se trouvait dans l’incapacité de résister et à donc acquitté l’auteur.
Tout en rappelant les obligations déduites des article 3 et 8 CEDH ainsi que celles de l’article 36 de la Convention d’Istanbul qui imposent aux Etats contractants de punir tout acte sexuel non consensuel, la Cour est d’avis que le fait d’étendre l’application de l’article 191 CP au comportement de stealthing reviendrait donc à combler une lacune du droit. Or, cette compétence revient au législateur et non pas aux autorités judiciaires. Le Tribunal fédéral rappelle à cet égard la révision en cours sur le droit pénal sexuel et confirme la nécessité de réformer les définitions actuelles des infractions contre l’intégrité sexuelle pour l’adapter au bien juridiquement protégé tel qu’il est compris aujourd’hui par la société civile.
En dernier lieu, le Tribunal fédéral admet que le comportement reproché au prévenu pourrait être constitutif de l’infraction de 198 CP et renvoie donc la cause à l’instance inférieure sur ce point.
Le raisonnement du Tribunal fédéral appelle plusieurs commentaires. Tout d’abord, il est soulageant que le Tribunal fédéral admette que le comportement reproché porte atteinte à l’autonomie et l’intégrité en matière sexuelle. Il est toutefois regrettable que notre Haute Cour n’ait pas eu le courage d’aller plus loin dans l’application de l’article 191 CP. En effet, une interprétation moins restrictive de la notion d’incapacité de résistance était possible, tout en respectant les principes de l’article 1 CP (pas de peine sans loi). Le fait que l’incapacité de résistance découle d’une raison physique, psychologique ou situationnel ne figure pas dans la disposition pénale comme un de ses éléments constitutifs. La question fondamentale dans le cadre de cette disposition est savoir si la personne était réellement en mesure de pouvoir s’opposer à l’acte non désiré. Dans les situations de stealthing, la personne victime n’est certes pas empêchée physiquement s’opposer à l’acte sexuel non désiré. Toutefois, concrètement, compte tenu de la tromperie, la personne n’est pas en mesure de s’opposer à un acte qu’elle ne soupçonne même pas. Pourtant, l’auteur avait connaissance de la condition à laquelle son partenaire sexuel consentait à l’acte. Ce comportement de l’auteur est pourtant considéré comme un acte admissible, bien qu’il ait des conséquences traumatiques pour la victime. Enfin, cette jurisprudence démontre une nouvelle fois la nécessité de modifier la loi et de mettre au centre de celle-ci la notion de consentement. En effet, seule la solution « seule un oui est un oui » est à même de couvrir toutes les formes de violences sexuelles.
Pour aller plus loin : DEPEURSINGE/BOYER, Stealthing : quelle protection pénale. De la nécessité de réviser les infractions contre la libre détermination en matière sexuelle, Cimes et Châtiments : Mélanges en l'honneur du Professeur Laurent Moreillon, Editions Stämpfli, Berne 2022.
Accès direct à l'arrêt BGer 6B_34/2020 (bger.ch)
Accès direct à l'arrêt BGer 6B_265/2020 (bger.ch)
Accès direct au communiqué de presse (bger.ch)
Direkter Link zur Medienmitteilung (bger.ch)
Gender Law Newsletter 2022#03, 01.09.2022