Obligations positives d’évaluation contextuelle des faits au titre des articles 3 et 8 CEDH en matière d’abus sexuels
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Gender Law Newsletter FRI 2024#3, 01.09.2024 - Newsletter abonnieren
EUROPE: DROITS HUMAINS (CONTRIBUTION INVITÉE)
Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 20 juin 2024, Z c. République tchèque (requête n°37782/21) : Contribution invitée de Kiana ILYIN
Prise en compte insuffisante, lors de l’enquête pénale, de la situation de dépendance et de vulnérabilité d'une personne qui s'est plainte d’abus sexuels: Violation des articles 3 et 8 CEDH.
Madame Z, ressortissante de la République tchèque (ci-après : la requérante), soutient avoir été victime d’agressions sexuelles à plusieurs reprises, entre 2008 et 2009, de la part d’un prêtre, qui était également son professeur d'université. Ce dernier aurait profité de sa vulnérabilité psychologique à la suite du décès de son père, mais également d'une détérioration de sa santé en raison d'une opération du cœur et d'une réaction post-traumatique à des attouchements sexuels commis par un autre prêtre pendant sa minorité (§§ 5 et 6).Les autorités nationales ont conclu que les agissements du prêtre n’étaient constitutifs ni d’abus sexuels ni de viol, au motif que la requérante ne s’était pas trouvée sous le contrôle de son professeur, respectivement n’avait pas été dans une situation d’incapacité de se défendre dont ce dernier aurait abusé, au sens du Code pénal en vigueur au moment des faits et de la jurisprudence, et qu’elle n’avait manifesté son désaccord que postérieurement aux actes sexuels et non pendant ces derniers (§§ 8 à 12 et 48).
Selon la Cour, les principes généraux applicables dans le présent cas ont été énoncés dans son arrêt du 4 décembre 2003, M.C. contre Bulgarie (requête n°39272/98), §§ 149-166. Sur la base des art. 3 et 8 CEDH, les États ont comme obligations positives d'adopter des normes pénales incriminant et sanctionnant effectivement tout acte sexuel non consenti, y compris en l’absence de résistance physique de la victime, et d’appliquer effectivement ces dispositions pénales par le biais d'enquêtes et de poursuites efficaces (§ 50).
En l’espèce, les autorités nationales n’ont ni évalué la crédibilité des déclarations en fonction du contexte, ni examiné les circonstances environnantes (voir l’arrêt M.C. contre Bulgarie précité, § 177). En effet, la police semble avoir considéré que la requérante aurait dû exprimer son opposition durant les actes qu’elle dénonce et non à un moment ultérieur, même à plusieurs reprises, pour que les faits soient punissables. La Cour juge qu’il fallait en particulier prendre en compte l’état psychologique de la requérante dans le cadre d’une évaluation contextuelle des faits, pour déterminer si elle souffrait d’une réaction post-traumatique à des abus sexuels antérieurs. Les autorités compétentes n’ont pas non plus suffisamment enquêté sur l’existence et l’étendue de la vulnérabilité particulière, respectivement de la position de dépendance de la requérante par rapport à son professeur. Elles se sont contentées de retenir, à la lumière du droit interne et de la jurisprudence, que la requérante n’était pas sous le contrôle de ce dernier, ni limitée dans son libre arbitre lors des faits puisqu’elle était majeure, jouissait d’une pleine capacité juridique et ne souffrait d’aucune maladie l’empêchant d’exprimer sa volonté. Les autorités internes ont opté pour une approche défaillante, qui ne prenait pas en compte l’état psychologique de la requérante, manquant ainsi à leurs obligations positives (§§ 57, 60 et 62).
La Cour conclut par conséquent, à l’unanimité, à la violation des articles 3 et 8 CEDH.
Accès direct à l’arrêt (https://hudoc.echr.coe.int)