Inconstitutionnalité d'une interdiction absolue de lever l'anonymat d'un donneur de gamètes
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Gender Law Newsletter FRI 2024#4, 01.12.2024 - Newsletter abonnieren
BELGIQUE: DROITS HUMAINS
Arrêt de la Cour constitutionnelle belge n°102/2024 du 26 septembre 2024
Le fait pour une personne majeure née d'une procréation médicalement assistée de faire face à une interdiction absolue d'accès à l'identité du donneur de gamètes viole le droit au respect de la vie privée.
Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle belge (ci-après "la Cour") s'est prononcée sur une question préjudicielle posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles dans le cadre d'une demande faite par une personne majeure née d'une procréation médicalement assistée d'obtenir les données identifiantes et non identifiantes du donneur de gamètes qui avait permis cette procréation. Elle avait adressé sa demande auprès de l'hôpital à qui ces données avaient été transmises, mais s'était heurtée à l'interdiction prévue par la loi belge d'accéder à une telle demande. En effet, la loi du 6 juillet 2007 relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes (ci-après "la loi du 6 juillet 2007) interdit la transmission de données identifiantes du donneur (art. 57) et ne permet la transmission que de données non identifiantes «susceptibles de revêtir une importance pour le développement sain de l’enfant à naître» et ce, uniquement à la receveuse du don ou au couple receveur pour lui permettre de prendre sa décision, et au médecin traitant du couple si la santé de la personne conçue le requiert (art. 65). L'art. 458 du Code pénal punit la révélation notamment par les médecins des secrets qui leur sont confiés (sauf dans certains cas prévus par la législation). La question préjudicielle a visé à savoir si cette interdiction absolue respecte le droit au respect de la vie privée prévu par l'art. 22 de la Constitution belge et l'art. 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
La Cour constitutionnelle rappelle la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH) selon laquelle le droit au respect de la vie privée inclut le droit d'une personne à connaître ses origines et donc, l'identité de son géniteur (B.5.3; cf. par exemple CourEDH, 7 septembre 2023, Gauvin-Fournis et Silliau contre France (requêtes nos 21424/16 et 45728/17), § 106). A cet égard, un juste équilibre doit être assuré, d'une part, entre les intérêts concurrents de l'individu et ceux de la société dans son ensemble, et d'autre part, entre les intérêts contradictoires des personnes concernées (B. 5.5; cf. par exemple CourEDH, 6 juillet 2010, Backlund contre Finlande (requête 36498/05), § 46). La Cour souligne le caractère plus restreint de la marge d’appréciation de l'Etat dans le cadre de cette balance lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu est en jeu (B. 5.5; cf. par exemple l'arrête Gauvin-Fournis et Silliau contre France précité, § 105).
Le but de l'interdiction d'accès aux données identifiables du donneur de gamètes a été d'éviter une pénurie de donneurs. Le but de la limitation de la transmission de données non identifiantes a été de «ne pas entretenir le mythe selon lequel le caractère de l’enfant, par exemple, serait inscrit dans les gènes du donneur». Ce but est jugé légitime par la Cour (B. 7.2). Cependant, elle constate une absence de juste équilibre entre les intérêts en présence en raison de l'impossibilité pour l'enfant conçu, en toute circonstance, d'accéder à la moindre information identifiante ou non identifiante relative au donneur, ou de contacter le donneur afin de lui demander s'il souhaite lever l'anonymat (B. 8.2). Elle en conclut que l'art. 57 de la loi du 6 juillet 2007 et l'art. 458 du Code pénal violent l'art. 22 de la Constitution belge combiné avec l'art. 8 CEDH (B. 9). La Cour invite donc le législateur à régler un accès aux informations relatives au donneur d'une manière qui ménage un juste équilibre des intérêts de l'enfant conçu et des donneurs, et ce, en tenant compte des donneurs qui ont fait don de leurs gamètes avant l'arrêt de la Cour constitutionnelle et ont donc une attente légitime à ce que la règle de l'anonymat qui s'appliquait lorsqu'ils ont fait le don continue à les protéger (B. 10 et B. 11.3 combiné avec B. 8.1). Afin de laisser le temps nécessaire au législateur pour ce faire, la Cour maintient les effets des dispositions anticonstitutionnelles jusqu'au 30 juin 2027 inclus (B. 11.3).