Être une femme peut constituer un motif de persécution pertinent justifiant la qualité de réfugiée
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Gender Law Newsletter FRI 2024#2, 01.06.2024 - Newsletter abonnieren
UNION EUROPÉENNE: DROIT D'ASYLE
Arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (grande chambre) du 16 janvier 2024, WS contre service des interrogatoires de l’Agence nationale pour les réfugiés auprès du Conseil des ministres de Bulgarie (C-621/21)
Être une femme, en ce compris une femme voulant s'extirper d'un mariage forcé, peut constituer dans certaines circonstances un motif de persécution dont la crainte fondée peut justifier le statut de réfugiée. En outre, la protection subsidiaire peut être accordée à une femme ayant des craintes réelles d'être tuée ou violentée par un membre de sa famille ou de sa communauté en raison de la transgression supposée de normes sociales.
La reconnaissance de la qualité de réfugié suppose une crainte, avec raison, d'être persécuté en raison d'un des motifs énumérés par l'art. 2, d), de la Directive 2011/95. L'appartenance à un groupe social constitue un de ces motifs de persécution. Or, les aspects liés au genre doivent être pris en compte dans l'identification de ce motif (art. 10, § 1er, d, al. 2, de la Directive 2011/95). La Cour apporte à cet égard les précisions suivantes.
1.) Eu égard à l'art. 78, § 1er, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui impose la conformité de la politique d'asile de l'Union européenne notamment à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et aux autres traités pertinents, la Directive 2011/95 doit être interprétée de façon conforme à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d'Istanbul), quand bien même la Bulgarie n'a pas ratifié la Convention d'Istanbul, parce que l'UE l'a ratifiée en octobre 2023 (points 44-47 de l'arrêt). Or, l'article 60, 1er, de la Convention d'Istanbul impose de reconnaître «la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre» comme motif de persécution prévu par la Convention de Genève précitée.
2.) En ce qui concerne le motif de persécution de l'appartenance à un groupe social, le fait d'être de sexe féminin constitue une caractéristique innée. Les femmes qui se sont soustraites à un mariage forcé ou les femmes mariées qui ont quitté leur foyer ont en outre une histoire commune non modifiable (points 49-51 de l'arrêt). Or, en vertu de l'art. 10, § 1er, d, de la Directive 2011/95, une caractéristique innée ou une histoire commune non modifiable satisfait à la condition d'appartenance à un groupe social si ce groupe est perçu comme différent par la société environnante. La Cour précise que cela peut être le cas si dans leur pays d'origine, ces femmes sont, «en raison de leur sexe, exposées à des violences physiques ou mentales, y compris des violences sexuelles et des violences domestiques» (point 57 de l'arrêt). C'est aussi le cas si le refus par des femmes d'un mariage forcé dont la pratique constitue une norme sociale, ou le fait pour elles d'y mettre fin, conduit à ce qu'«elles se voient stigmatisées et exposées à la réprobation de leur société environnante conduisant à leur exclusion sociale ou à des actes de violence» (point 58 de l'arrêt).
3.) La crainte de persécutions par des acteurs non étatiques contre lesquelles l'Etat ne peut pas ou ne veut pas accorder une protection effective et durable par des mesures raisonnables destinées à les empêcher peut conduire à la reconnaissance du statut de réfugié soit si ces persécutions reposent sur un des motifs prévus à l'art. 10, § 1er, de la Directive 2011/95, soit si le refus de protection par l'Etat repose sur un de ces motifs (points 66-67 de l'arrêt).
La protection subsidiaire peut être accordée en cas de «motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine [...] courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies [notamment à l'art. 15 de la Directive 2011/95]». (art. 2, f, de la Directive 2011/95), à savoir en particulier la peine de mort, le risque d'exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants (art. 15, a et b de la Directive 2011/95). La Cour précise que le risque pour une femme «d’être tuée par un membre de sa famille ou de sa communauté au motif de la transgression supposée de normes culturelles, religieuses ou traditionnelles» constitue une atteinte grave devant être qualifiée d'exécution, et que le risque pour une femme d'être soumise à des actes de violences de la part de ces personnes pour le même motif «doivent être qualifiés de torture ou de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants [...]». (points 75-77 et 80 de l'arrêt). La menace réelle de tels actes peut donc conduire à la protection subsidiaire (point 80 de l'arrêt).
Accès direct à l'arrêt (https://curia.europa.eu)