Élément constitutif de la contrainte et l’intention en matière sexuelle : appréciation arbitraire des faits

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Gender Law Newsletter FRI 2024#2, 01.06.2024 - Newsletter abonnieren

SUISSE: DROIT DU TRAVAIL

Arrêt du Tribunal fédéral du 8 février 2024 (6B_88/2023): Contribution invitée de Kiana SHEMIRANI
L’auteur, qui malgré une opposition verbale de la victime, s’obstine et continue le rapprochement physique, use d’un moyen de contrainte efficace pour passer outre l’absence de consentement de celle-ci. Il est arbitraire de nier son intention sur les faits reprochés (art. 189 et 190 CP).

Une résidente d’un établissement médico-social (ci-après : A), atteinte d’un trouble psychologique de type borderline, a reçu, le 4 mars 2018, la visite d’un homme (ci-après : B), qu’elle avait rencontré par le biais d’un site de rencontre et fréquenté à une reprise par le passé. La rencontre a débuté par quelques « préparatifs » de A, laquelle a apposé sur sa porte le panneau « ne pas déranger », à la demande de B, puis est sortie prendre un médicament stabilisateur d'humeur pour enfin revenir dans sa chambre et s'asseoir sur son lit à côté de B. Malgré un refus verbal d’entretenir une relation sexuelle de la part de A, B a insisté, en lui faisant des suçons et en la mordant au niveau du cou, s’est déshabillé et lui a demandé de se lever et de lever les bras. A a obtempéré et B l’a alors déshabillée et s’est couché sur elle. Sur demande de A, B a accepté de mettre un préservatif. A est restée silencieuse et inerte durant l’acte sexuel, jusqu’à ce que B tente une pénétration anale à la suite d’un changement de position. A a alors clairement manifesté un refus et s’est levée. Par la suite, A a réitéré sa demande de mettre un préservatif à B, le premier s’étant enlevé. Lors de la seconde pénétration vaginale, alors que B était couché sur elle, A a demandé à B de finir vite.
 
A dépose un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral contre le jugement cantonal du 19 juillet 2022. Elle conteste l’acquittement de B des chefs de viol et de tentative de contrainte sexuelle et invoque un établissement arbitraire des faits, ainsi qu’une violation du droit fédéral (art. 189 et 190 CP), en lien avec l’élément constitutif de la contrainte (consid. 2).
 
Le Tribunal fédéral rappelle que le code pénal, par ses art. 189 et 190, vise à protéger la libre détermination en matière sexuelle en réprimant l'usage de la contrainte aux fins d'amener une personne à faire ou à subir, sans son consentement, un acte d'ordre sexuel (art. 189 CP) ou une personne de sexe féminin à subir l'acte sexuel (art. 190 CP). En matière sexuelle, la contrainte suppose que la victime ne soit pas consentante, que l'auteur le sache ou accepte cette éventualité, et qu'il passe outre en profitant de la situation ou en utilisant un moyen efficace. Les Juges fédéraux précisent que toute pression ou tout comportement conduisant à un acte sexuel non souhaité ne saurait être qualifié de contrainte. Encore faut-il que l'auteur surmonte ou déjoue la résistance que l'on pouvait raisonnablement attendre de la victime (consid. 2.1.2 et réf. cit.).
 
En outre, la contrainte sexuelle et le viol sont des infractions intentionnelles. L'auteur doit savoir que la victime n'est pas consentante ou en accepter l'éventualité. Lorsque la victime donne des signes évidents et déchiffrables de son refus, reconnaissables pour l'auteur, notamment des pleurs ou des demandes d'être laissée tranquille, l’élément subjectif est rempli (consid. 2.1.3 et réf. cit.).
 
S’agissant de l’élément de la contrainte, le Tribunal fédéral considère que B a exercé une pression et une emprise physiques suffisantes qui lui ont permis de passer outre le refus exprimé par A. Cette dernière avait, dès le départ, opposé une réticence puis, au moins à une reprise, manifesté une opposition claire d'entretenir une relation sexuelle. B a insisté et a continué le rapprochement physique avec A. Après s’être déshabillé, il lui a demandé de se lever, de lever ses bras et lui a retiré ses vêtements, avant de se coucher sur elle, de lui tenir les épaules et de s'appuyer sur sa poitrine pour se saisir d'un préservatif. De plus, vu ses problèmes psychiques et le panneau déposé sur la porte, à la demande de B, l'on ne pouvait exiger de A une résistance autre qu'une opposition verbale, de sorte qu'il était compréhensible qu’elle soit restée passive lorsqu'elle s'était aperçue que son opposition avait demeuré sans effet sur le comportement subséquent de B. La cour cantonale a donc violé le droit fédéral en niant l’élément de la contrainte (consid. 2.4).
 
Quant à l’élément subjectif de l’intention, A a exprimé un refus par oral d’entretenir une relation sexuelle avec B, signe évident et déchiffrable qui n’a pas pu échapper à ce dernier. Le fait que A et B se soient déjà fréquentés avant le 4 mars 2018 ou l’apposition du panneau «ne pas déranger» n’indiquent pas que A avait changé d’avis, puisque ces éléments sont antérieurs à ce refus. En raison de la proximité chronologique entre l’opposition manifestée et la contrainte employée, le comportement ultérieur de A ne pouvait pas non plus signifier qu’elle avait finalement décidé d’accepter l’acte sexuel, mais symbolisait une forme de résignation. Selon le Tribunal fédéral, il est compréhensif que, face à son refus resté sans effet, A ait demandé à B de se protéger et ce seul élément, en comparaison avec son opposition claire et son absence d’initiative, ne laissait pas penser qu’elle avait soudainement le souhait d’entretenir des rapports sexuels. B a d’ailleurs admis avoir ressenti la gêne de A. Pour l’épisode de la pénétration anale, le Tribunal fédéral retient que les déclarations de B, dans ce contexte particulier et à défaut de consentement, démontrent une indifférence quant aux types d’actes sexuels qu’il entendait infliger à la victime, de sorte qu’il a pris le risque de lui infliger un acte d’ordre sexuel et l’a accepté. Cet acte était d’ailleurs resté au stade de la tentative uniquement en raison du second refus exprimé par A. L’expertise psychiatrique corroborait, du reste, le caractère intentionnel des actes reprochés et ne permettait pas à la cour cantonale de retenir que B n’avait pas les capacités intellectuelles pour comprendre le ressenti de A. B s'était accommodé et avait accepté l'éventualité que son insistance et ses gestes lui permettaient de dépasser l’absence de consentement, de sorte que la cour cantonale a versé dans l’arbitraire en refusant d’admettre l’intention de B dans le cas d’espèce (consid. 2.5).
 
Compte tenu de ce qui précède, B devait être condamné pour viol et tentative de contrainte sexuelle à l'encontre de A (consid. 2.6).

Accès direct à l'arrêt (https://www.bger.ch)
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