Menaces antisémites dans le cadre d'un harcèlement sexuel (Art. 8 combiné à l'article 14 CEDH)
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Gender Law Newsletter FRI 2024#3, 01.09.2024 - Newsletter abonnieren
EUROPE: DROITS HUMAINS
Arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 11 avril 2024, Allouche contre France (requête n°81249/17)
L'omission, par les autorités judiciaires, de prendre en compte la dimension antisémite de menaces systématiques de mort, de violences et de viol, alors qu'elles constituent une circonstance aggravante, viole l'article 8 combiné à l'article 14 CEDH.
Une femme travaillant dans une association dédiée aux victimes de la Shoah a décliné des propositions d'un barman travaillant plus loin de sortir ensemble après qu'ils aient eu des échanges par e-mail. Celui-ci a alors envoyé 26 e-mails contenant des menaces de mort, de violences et de viol régulièrement accompagnées de propos antisémites extrêmement violents du type «je te déteste toi et ta salle race !!! vive les camps ! vive la shoa ! Vive l’Allemagne nazi ! Heil Hitler» (sic), «sale pute juive», «si je te croise dans la rue, je te casse ton nez de salle juive !!!» (sic), etc., tout en exprimant sa déception amoureuse. Cela a conduit la requérante à déménager, à changer de lieu de travail, à mettre fin à des projets notamment liés à la judéité, et à développer un syndrome dépressif.
Malgré les demandes répétées de la victime devant toutes les instances judiciaires auprès desquelles elle s'était constituée partie civile, les juridictions saisies n'ont condamné l'auteur des faits que pour menaces de mort sans prendre en compte leur caractère antisémite évident, alors qu'il s'agissait d'une circonstances aggravante prévue à l'article 222-18-1 du Code pénal français (entretemps abrogé; une telle circonstance aggravante est aujourd'hui prévue de façon plus systématique à l'article 132-76 du Code pénal français).
Dans son arrêt, la Cour rappelle l'obligation étatique découlant de l'article 8 CEDH seul ou combiné à l'article 14 CEDH de «prévenir les attaques xénophobes ainsi que d’enquêter sur des motifs discriminatoires» (§ 32), en particulier racistes, avec des mécanismes de droit pénal pour les infractions graves portant atteinte à l'intégrité physique ou mentale (§ 50). En outre, «les incidents violents à motivation supposément discriminatoire, en particulier raciste, ne doivent pas être traités sur un pied d’égalité avec des délits ne comportant pas de tels motifs» (§ 51). Des mécanismes légaux adéquats et une mise en œuvre effective sont nécessaires (§ 52). Or, alors que l'enquête policière avait tenu compte du caractère antisémite des menaces, que son existence avait été reconnue sur le plan factuel par la Cour d'appel de Paris et que le droit pénal prévoyait une peine maximale d'emprisonnement de 5 ans au lieu des 3 ans prévus pour les faits commis sans cette circonstance aggravante, la Cour d'appel de Paris n'en a pas tenu compte dans son appréciation juridique (§ 61–62). La Cour a donc estimé que les autorités avaient violé leur obligation positive de protection découlant des articles 8 et 14 CEDH «contre les propos discriminatoires – particulièrement destructeurs des droits fondamentaux – de l’agresseur de la requérante» (§ 64). Elle a condamné la France à verser notamment à la victime une satisfaction équitable de 15 000 €.
Accès direct à l’arrêt (https://hudoc.echr.coe.int)