La durée «relativement courte» d’un viol n’est en aucun cas un facteur d’atténuation de la culpabilité
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Gender Law Newsletter FRI 2024#4, 01.12.2024 - Newsletter abonnieren
SUISSE: DROIT PÉNAL (CONTRIBUTION INVITÉE)
Arrêt du Tribunal fédéral du 18 septembre 2024 (6B_612/2024): contribution invitée de Kiana Ilyin
Lors de la fixation de la peine, la durée de l’acte sexuel ne peut en aucun cas atténuer la culpabilité de l’auteur d’un viol. Au contraire, la durée de l’activité criminelle peut être un facteur aggravant sa culpabilité lorsque son prolongement dans le temps traduit une énergie criminelle conséquente (art. 190 CP).
I. Faits
En juillet 2023, A a suivi la femme dont il avait fait la connaissance lors d’une soirée dans un bar, dans le canton du Valais, alors que celle-ci rentrait chez elle. Près de son domicile, Il a tenté de l'embrasser contre son gré. Face à son refus, A l'a immobilisée sur la pelouse, lui tenant les poignets et empêchant ses cris en couvrant sa bouche. Il a ensuite relevé sa robe, retiré sa culotte et l'a pénétrée. Sa victime a cependant réussi à appeler à l’aide après quelques minutes, ce qui a contraint A à se retirer sans éjaculer pour fuir les lieux.
En première instance, A a été condamné pour viol à une peine privative de liberté de 30 mois dont 15 mois assortis d’un sursis. La Cour pénale du Tribunal cantonal du Valais a partiellement admis l’appel formé par le Ministère public et a augmenté la peine privative de liberté à 42 mois fermes.
A forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral contre l’arrêt cantonal, concluant principalement à sa réforme en ce sens que le jugement de première instance est confirmé et sa peine privative de liberté diminuée. Il invoque une violation de l’art. 47 CP et de son droit d’être entendu s’agissant de la fixation de la peine (consid. 1).
II. Droit
L’instance précédente a reconnu A coupable de viol passible d’un à dix ans de peine privative de liberté selon l’art. 190 CP (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 30 juin 2024). Elle a considéré que l’acte commis était grave. Plusieurs éléments en l’espèce traduisaient une énergie criminelle conséquente mis en œuvre par l’auteur, notamment le fait que la victime était alcoolisée, isolée et vulnérable et la brutalité de l’auteur dont la main empêchait la victime de respirer. La volonté délictuelle de l’auteur était également élevée, puisque ses mobiles étaient égoïstes. En outre, sa collaboration lors de la procédure était mauvaise. A n’a absolument pas pris conscience de sa responsabilité et est allé jusqu’à affirmer que la victime l’avait forcé à entretenir des relations sexuelles avec lui en le menaçant de le dénoncer pour viol s’il ne s’exécutait pas. Pour toutes ces raisons, la cour cantonale a fixé la peine privative de liberté du recourant à 42 mois, excluant l’octroi d’un sursis complet ou partiel, dès lors que la peine était supérieure à trois ans (consid. 1.3).
Le recourant prétend que la cour cantonale aurait mal apprécié sa culpabilité (consid. 1.4. à 1.5). Il se prévaut en particulier de l'arrêt du Tribunal fédéral 7B_15/2021 du 19 septembre 2023 et soutient que cette dernière aurait dû atténuer sa culpabilité en raison «de la brièveté de l’acte», puisque la durée relativement courte d'un viol serait un facteur atténuant la culpabilité (consid. 1.4.2).
Selon le Tribunal fédéral, la durée d'une agression sexuelle est sans lien avec la gravité de la lésion au bien juridique protégé, contrairement à ce que pourrait laisser supposer l'arrêt précité qui contient «une formule isolée et inadéquate». La désignation de «viol de courte durée» est un non-sens pour les juges de Mon-Repos, parce que l'atteinte au bien juridique protégé est consommée dès les premiers instants de l'acte sexuel. Retenir le contraire reviendrait à récompenser l’auteur d’un viol sur la base de la durée de son activité criminelle sous l’angle de la culpabilité. La durée «relativement courte» d'un viol ne saurait par conséquent être un facteur atténuant. En revanche, la durée de l'activité criminelle peut être prise en compte dans un sens aggravant de la culpabilité dans la mesure où son prolongement dans le temps témoigne d’une énergie criminelle d'autant plus conséquente (consid. 1.4.2).
Notre Haute Cour estime que la cour cantonale a tenu compte de critères pertinents pour la fixation de la peine conformément à l'art. 47 CP. Il n'existe par ailleurs aucune violation du droit d'être entendu de A. La peine infligée n'apparaît pas non plus exagérément sévère au point de constituer un abus du pouvoir d'appréciation du juge. Les griefs tirés de la violation de l'art. 47 CP doivent donc être rejetés dans la mesure de leur recevabilité (consid. 1.7).
Partant, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable (consid. 2).
III. Commentaire
Par communiqué de presse du 15 octobre 2024, le Tribunal fédéral a annoncé que la durée d’un viol ne saurait en aucun cas être favorable à l’auteur de celui-ci. La formulation «isolée et inadéquate» relative à la «durée relativement courte» d’un viol figurant dans l'arrêt du Tribunal fédéral 7B_15/2021 du 19 septembre 2023 («die (im Vergleich relativ kurze) Dauer der Vergewaltigung», consid. 6.3) est donc «sans importance pour la jurisprudence». La question de la durée de l’acte n’a d’ailleurs pas été développée dans cet arrêt de l’année dernière.
Cette précision apportée par notre Haute Cour, dans un arrêt destiné à publication, doit être pleinement approuvée. Puisque la durée «relativement courte» d’un viol n’est pas en lien avec la gravité de l’atteinte portée au bien juridique protégé, cette durée de l’activité criminelle ne saurait être favorable à l’auteur sous l’angle de la culpabilité. En outre, cette jurisprudence a le mérite de mettre un terme à toute controverse autour de la qualification d’un viol «relativement court».
Accès direct à l'arrêt (https://www.bger.ch)
Pour un résumé de l’arrêt du Tribunal fédéral 7B_15/2021 du 19 septembre 2023 et un commentaire de l’arrêt de la Cour d'appel de Bâle du 30 juillet 2021 que cet arrêt du Tribunal fédéral avait examiné, voyez newsletter 2024#1 (arrêt du Tribunal fédéral) et newsletter 2022#4 (arrêt de la Cour d'appel de Bâle).