Harcèlement sexuel et liberté d'expression pour le dénoncer (Art. 10 CEDH)

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Gender Law Newsletter FRI 2024#2, 01.06.2024 - Newsletter abonnieren

EUROPE: DROITS HUMAINS

Arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 18 janvier 2024, Allée contre France (n°20725/20)

La Cour a constaté que la condamnation d’une femme pour diffamation publique envers un responsable de l'association qui l'employait et qu'elle accusait de harcèlement sexuel a violé son droit à la liberté d'expression.

Dans un e-mail adressé à six personnes, la secrétaire d'une association avait dénoncé être victime de harcèlement sexuel et d'une agression sexuelle commise par le vice-président de cette association. Elle avait été condamnée pénalement par les tribunaux français pour diffamation pour les raisons suivantes. Selon les tribunaux, l'e-mail avait eu un caractère public parce que trois des destinataires de l'e-mail n'avaient pas fait partie de l'association. Quand bien même des éléments permettaient d'établir l'existence d'un harcèlement moral voire sexuel, l'agression sexuelle n'avait pas été étayée par des preuves ou par une plainte. La condamnée ne pouvait donc pas se prévaloir de sa bonne foi qui aurait pu l'exonérer de sa responsabilité pénale.
La Cour européenne des droits de l'homme a opéré une mise en balance entre l'atteinte constituée par la dénonciation au droit au respect de la vie privée de la personne dénoncée, protégé par l'article 8 CEDH, et le droit à la liberté d'expression de la dénonciatrice protégé par l'article 10 CEDH. Elle a estimé qu'une atteinte disproportionnée avait été portée à son droit à la liberté d'expression pour les raisons suivantes: 1.) Les destinataires de la dénonciation n'étaient que six et un seul était en-dehors de l'affaire (le fils de la personne dénoncée, déjà au courant des accusations). Selon la Cour, le texte avait donc pour seul but d'alerter sur des faits et non de les rendre publics. 2.) La dénonciatrice s'estimait victime des faits dénoncés. 3.) Il s'agissait de déclarations de fait. 4.) S'agissant de faits commis sans témoins, les exigences de preuve avaient été excessives et l'absence de plainte n'était pas constitutive d'une mauvaise foi. 5.) L'e-mail ne pouvait avoir eu qu'un effet limité sur la réputation de la personne dénoncée. 6.) La condamnation pénale, quand bien même la peine était limitée à une amende de 500 EUR, pouvait dissuader de dénoncer des faits graves de harcèlement moral ou sexuel.

Accès direct à l’arrêt (https://hudoc.echr.coe.int)