Dommages-intérêts et réparation du tort moral pour discrimination fondée sur le sexe
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Gender Law Newsletter FRI 2024#2, 01.06.2024 - Newsletter abonnieren
SUISSE: ÉGALITÉ DES FEMMES ET DES HOMMES
Arrêt du Tribunal fédéral du 12 février 2024 (1C_341/2023)
Une discrimination au sens de la loi sur l'égalité (LEg) représente aussi une atteinte aux droits de la personnalité. Cette atteinte illicite peut donner droit à des dommages-intérêts ainsi qu'à une réparation du tort moral.
La recourante avait déposé une «plainte civile pour discrimination fondée sur le sexe et destruction d'une carrière de professeure universitaire de haut niveau» contre l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (ci-après «EPFL»): «Engagée en qualité de "professeure assistante tenure track" à l'EPFL [...], elle estimait avoir subi une discrimination fondée sur le sexe en ce que l'EPFL avait diligenté plusieurs enquêtes administratives à son encontre et lui avait attribué une charge de travail excessive». Le Tribunal fédéral confirme l'arrêt du Tribunal administratif fédéral qui approuve le rejet de la plainte, essentiellement pour faute de motivation suffisante.
L'arrêt est néanmoins intéressant sous plusieurs aspects.
1.) Tout d’abord, malgré la tardiveté du recours, le Tribunal fédéral entre en matière avec la motivation suivante: «La recourante, qui recourt sans mandataire, se prévaut toutefois d'une urgence médicale et produit un certificat médical attestant que sa fille mineure a été hospitalisée à l'étranger du 29 juin au 2 juillet 2023. Au vu de l'issue du litige, la question de savoir si cette situation peut constituer un motif de restitution de délai au sens de l'art. 50 al. 1 LTF peut demeurer indécise».
2.) En outre, malgré l'absence de signature manuscrite de la recourante sur l'acte de recours, le Tribunal fédéral relève ce qui suit: «Cette dernière a toutefois inscrit à la main ses nom, prénom et adresse au dos de l'enveloppe contenant le mémoire de recours. Cela étant, il n'apparaît pas nécessaire de fixer un délai à la recourante pour lui demander de remédier à cette irrégularité».
3.) De plus, selon l'art. 5 al. 5 LEg, sont réservés les droits en dommages-intérêts et en réparation du tort moral, de même que les prétentions découlant de dispositions contractuelles plus favorables aux travailleurs. Le Tribunal fédéral explique que «Cette réserve vise à clarifier la situation, en rappelant qu'une discrimination au sens de la LEg représente aussi une atteinte aux droits de la personnalité et que cette atteinte illicite peut donner droit à des dommages-intérêts ainsi qu'à une réparation du tort moral. Dès lors, même si les conditions de réalisation de ces dernières prétentions sont soumises aux principes généraux du droit de la responsabilité, elles ont le même fondement que tous les autres droits du lésé énoncés à l'art. 5 al. 1 à 4 LEg, à savoir l'acte illicite que constitue la violation de la loi sur l'égalité». Dans le cas spécifique, la responsabilité de l’EPFL à l'égard de tiers et de ses propres employés est régie par la loi fédérale du 14 mars 1958 sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires. C’est donc sous cet aspect-là que le Tribunal fédéral examine s’il y a droit à des dommages-intérêts et à une réparation du tort moral, en concluant que «la recourante n'avait pas réussi à établir avec le degré de preuve suffisant qu'elle aurait été victime d'une discrimination fondée sur le sexe en lien avec l'attribution du programme d'échange au début de son activité comme professeure assistante», ni par rapport au nombre d’enquêtes administratives diligentées à son égard. A ce sujet, le Tribunal fédéral considère qu’«il n'était pas suffisant que la recourante se réfère au rapport établi en juillet 2020 par la commission sur le statut des femmes au sein du corps professoral de l'EPFL, qui faisait état du fait qu'en 2018, un plus grand nombre d'enquêtes administratives avait été diligentées contre des femmes que contre des hommes». À défaut d'un acte illicite commis par l’employeur, la demande de dommages-intérêts et de réparation du tort moral a été rejetée.
4.) Enfin, la recourante demande que l'arrêt du Tribunal fédéral ne soit pas publié afin que son identité soit préservée, l'anonymisation à laquelle il est habituellement procédé n’étant pas suffisant à protéger sa personnalité. Le TF considère qu’en l'espèce, «il n'apparaît pas que les conditions, restrictives, pour qu'il soit renoncé à la publication de l'arrêt soient réunies. Toutefois, l'anonymisation du présent arrêt sera effectuée dans le respect des principes susmentionnés, de sorte que la publication de l'arrêt anonymisé ne saurait engendrer une violation de la sphère privée de la recourante».
Accès direct à l'arrêt (https://www.bger.ch)