Contrainte en matière sexuelle: Pressions psychiques sur une victime adulte
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Gender Law Newsletter FRI 2024#4, 01.12.2024 - Newsletter abonnieren
SUISSE: DROIT PÉNAL (CONTRIBUTION INVITÉE)
Arrêt du Tribunal fédéral du 22 juillet 2024 (7B_232/2022, 7B_233/2022) : contribution invitée de Kiana Ilyin
L’auteur qui exige dans une lettre de sa victime adulte qu’elle accepte un rendez-vous à l’hôtel dans le but d’entretenir une relation sexuelle, accompagnant sa demande de la menace de révéler la relation extraconjugale qu’ils ont entretenu aux proches de celle-ci, n’exerce pas une pression psychique suffisamment intense pour atteindre le seuil de la tentative de contrainte sexuelle ou de la tentative de viol (art. 189 et 190 du Code pénal, ci-après "CP").
I. Faits
Durant son mariage, A a noué en secret une relation extraconjugale avec B. Le 6 août 2019, après qu’elle a eu mis un terme à leur aventure, B a déposé une lettre sur le lieu de travail de A. Cette missive, rédigée par B durant le mois de juillet 2019 après une discussion infructueuse entre les anciens amants, demandait à A d'accepter dans un délai de deux jours l'un des quatre rendez-vous à l’hôtel proposés entre le 14 et le 23 août 2019 avec confirmation via Outlook. B a en outre exigé de A qu'elle entretienne des rapports sexuels avec lui à l'occasion de cette rencontre. Il a accompagné ses deux demandes de la menace de révéler la relation extraconjugale au mari et à la famille de A, tout en précisant que son choix lui était bien égal. Celle-ci a révélé sa relation extraconjugale à son mari deux jours après la réception de la lettre.
B. a été acquitté en première instance des chefs de tentative de viol et de tentative de contrainte sexuelle. En revanche, il a été déclaré coupable de tentative de contrainte, commise fin juillet 2019. La Cour suprême du canton de Berne a confirmé les acquittements prononcés en première instance. Elle a condamné B pour tentative de contrainte, commise fin juillet 2019 et le 6 août 2019, à une peine pécuniaire avec sursis de 180 jours-amende à 140 francs, assortie d'un sursis de deux ans.
A forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral, concluant principalement à la condamnation de B pour tentative de viol et tentative de contrainte sexuelle pour les délits ayant eu lieu respectivement fin juillet 2019 et le 6 août 2019. Le Parquet général du canton de Berne forme également recours dans cette affaire, concluant en particulier à la condamnation de B pour tentative de viol (dates de l'infraction : fin juillet 2019 et 6 août 2019), en plus de la condamnation déjà prononcée.
II. Droit
Après avoir rappelé que les moyens de contrainte cités par les art. 189 al. 1 CP et 190 al. 1 CP (dans leur version avant le 1er juillet 2024) se recoupent entièrement (consid. 2.2.1), le Tribunal fédéral débute par souligner qu'une pression psychique significative est nécessaire pour créer une situation de contrainte comparable à la violence physique ou à une menace. Il n'est certes pas exigé qu'elle entraîne une incapacité de résistance de la victime, mais l'influence exercée sur cette dernière doit tout de même être considérable et atteindre une intensité comparable à celle de la violence ou de la menace. C'est le cas lorsque, compte tenu des circonstances et de la situation personnelle de la victime, on ne peut raisonnablement pas attendre d'elle qu'elle résiste (consid. 2.2.3).
Après un tour d’horizon de la jurisprudence (consid. 2.2.4 et 2.2.5) et de la doctrine (consid. 2.2.6), les juges de Mon-Repos retiennent qu’il existe un consensus sur le fait que l’exercice de pressions d’ordre psychique au sens des art. 189 et 190 CP doit être interprétée avec retenue[1]. Pour décider si une contrainte psychique constitutive de l'infraction est présente, il convient de prendre en compte la situation dans son ensemble. En ce sens, il est en principe admissible de tenir compte de la distance temporelle et spatiale entre l’exercice des pressions psychiques et les actes sexuels exigés (consid. 2.2.7).
En l’espèce, B a expressément indiqué dans son courrier que le choix de A d’accepter une rencontre ou la révélation de sa relation extraconjugale à ses proches lui était bien égal. À la suite des agissements de l'auteur, la victime, une femme adulte et réfléchie, s'est adressée à sa hiérarchie. Au vu de ces circonstances concrètes, notre Haute Cour estime que la pression psychique exercée n'était pas suffisamment intense pour atteindre le seuil de la tentative de contrainte sexuelle ou de la tentative de viol. Dans son appréciation, l'instance précédente a correctement tenu compte du fait que l'on peut attendre des adultes qu'ils résistent davantage que les enfants. En outre, elle a pris en compte la distance temporelle et spatiale entre l’exercice de la pression psychique et les actes sexuels exigés. Pour une condamnation pour tentative de contrainte sexuelle ou tentative de viol, il aurait été nécessaire en l'espèce que B, après avoir écrit sa lettre, actualise la contrainte en vue des actes sexuels qu'il souhaitait. Cela vaut d’autant plus que ce dernier a écrit dans sa missive qu'il lui était indifférent que A se décide pour ou contre une rencontre (consid. 2.3).
Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral rejette les recours de A et du Ministère public, estimant que l'instance inférieure n'a pas violé le droit fédéral.
[1] Le Tribunal fédéral se réfère à ATF 128 IV 106 consid. 3a/aa; QUELOZ/ILLÀNEZ, N 34 relatif à l’art. 189, in: Commentaire romand Code pénal II, Bâle 2017; TRESCHEL/BERTOSSA, N 6 relatif à l’art. 189 CP, in: Schweizerisches Strafgesetzbuch Praxiskommentar, 4e éd., Zurich/St-Gall 2021.
Accès direct à l'arrêt (https://www.bger.ch)